— Nous allons construire un pont à cet endroit précis. Il n’y a pas de rivière ? Pa grav, fé lo pon, la rivir va vni apré..
Parlons politique, ou plutôt de la grande farce politicarde et de ses têtes d’affiche : élus du peuple, conseillers, syndicalistes, journalistes, femmes et fils de… Ici, tout est question de pouvoirs et de malversations, d’escroquerie et de magouilles, de secrets et d’aveux, et rien ne se passe jamais tout à fait comme prévu. Une télénovela aux accents de tragédie shakespearienne, un talk-show péi où la farce est de mise. Attention : toute ressemblance avec des personnes et des situations existantes (ou ayant existé) serait purement fortuite. De l’intime à l’universel, il y a un sillon que la Konpani Ibao ne cesse de creuser. En rappelant que le théâtre peut être populaire et exigeant, Maskarad parle à chacun tout en questionnant la communauté, et c’est pour beaucoup ce qui fait du théâtre un lieu « drôlement » vivant.
Intentions
Pour quelles raisons entre-t-on en politique ? Est-il possible de rompre avec ses prédécesseurs ? Comment, au milieu de tous les stéréotypes véhiculés autour de cette fonction – la dépendance au pouvoir, les privilèges, le mensonge, les malversations, la corruption – peut-on réellement être libre et intègre ? Et le rester ? Rares sont les réponses idéalistes, ou même simplement positives, qui mettent en jeu les notions de combat et de visions sociétales. Ces questions traversent le texte et nous amènent à reconsidérer notre rapport pur et parfois naïf au militantisme, et par extension à la revendication, la protestation citoyenne et l’abstention. Dans cette (très) libre interprétation sous filtre colonialiste de Macbeth de William Shakespeare, renouons avec la farce et la parodie. Sexe, meurtre du père, manipulation, sorcellerie…
Prenons au mot ce qualificatif récurrent au sujet de la vie politique : mascarade. Mascarade relationnelle, mascarade médiatique, mascarade électorale. En toute sincérité et en toute obscénité assumée. Sur scène, un podium : le lieu où il faut être, the place to be, le centre ou le sommet, le promontoire de la réussite, le fameux « être en l’air » créole. Tout autour : les journalistes, les commentateurs, les coryphées du pouvoir. Et bien sûr, au milieu : les adversaires en lice, les compétiteurs, les opposants ambitieux. Entre la vie politique et le théâtre masqué, le parallèle est flagrant. Tous deux supposent une transformation de la personne en personnage, voire en figure. Traditionnellement paternelle en politique, on assiste à une érotisation de celle-ci et à son glissement de la séduction vers la people-isation.
Le masque propose une théâtralité de l’excès justement axée sur le corps et qui entre en écho avec cette glamour-isation du politique. Lorsque le visage est figé, c’est tout le corps qui parle, rit, désire et dit les situations. C’est un théâtre de l’action, un moyen de reconstituer des faits connus de tous sous un jour d’étrangeté nouveau, un aller-retour entre le personnage masqué et la personne démasquée par ses artifices. Ces jeux d’apparence, et de sens, permettent de nous jouer de nous-mêmes le plus sérieusement du monde, tout en proposant une autre compréhension du réel. Entre combat de boxe, music-hall et show télévisé, saluons l’entrée de la politique dans la sphère people. Bienvenue dans notre télé-politico-novelas péi !
Les personnages
Coryphée
— Sandy Calixte, la quarantaine, militant syndical acharné depuis… oh, depuis bien plus que ça. sandy
Calixte
— La pause repos après la pause repas pour tout le personnel communal, gras kisa… in ? Gras anou sèr zami sèr kamarad ! La semaine de repos de 35 h pour la fonction publique, gagnée de haute lutte par kisa in ? Par nou, sèr zami, sèr kamarad ! Zot tout tèrla, vous connaissez mon engagement, mon combat pour mettre la société civile au centre du débat sociétal. Mé zordi, lèr mi gèt azot, mi domann : elle est où la société civile, elle est où ?
Coryphée
— Rose Laurier, épouse de Sandy Calixte, la quarantaine…
Rose Laurier
— Tu as fait de moi ta poule fétiche : Miss Gros Gayard ! Moi qui n’étais rien, zordi je représente, avec toi, j’ai touché le quatrième ciel, j’ai déssoté la mer, tu as mis à mon cou des rivières de bijoux. Tu m’as braté le jour de mon mariage, ravalant ta jalousie, montrant ton amour inconditionnel pour moi, en célébrant mon union avec Calixte.
Coryphée
— Auguste Gaillard, élu du peuple depuis… depuis, depuis très longtemps déjà. Propriétaire terrien de père en fils, sétadir li minm, piské li la pwin zanfan. Détenteur de la patente « poulégriyéborchemin ». Bref, papa la population !
Auguste Gayar
— Non, ce n’est pas toi que je quitte, c’est toute cette mascarade, ce mandat, ces gens si peu reconnaissants. Pas plus tard qu’il y a une demi-heure, ils m’ont traité de connard, de connard tu entends ? Moi qui ai tout fait pour eux, moi qui ai mis en l’air tant de petites gens à terre. Les gratteurs de cul refusent de me serrer la main, comme si c’était la mienne qui était souillée, corrompue. Pourtant chaque emploi donné, c’est à un autre d’entre eux qu’ils le prennent, chaque billet, c’est dans leur poche qu’il est glissé. Avant, ils se contentaient de quelques sacs de ciment et trois feuilles de tôle et m’appelaient papa, bénissant mon nom.
Les Journalistes
— D’après les sources bien informées mais ô combien incertaines, d’une radio concurrente, il s’agirait de la nouvelle la plus détonante dans notre monde politique. Tout ceci reste à confirmer bien entendu, et cette fois par le biais de réelles investigations.
Paroles d’auteurs
Sully Andoche
Cuisine électorale
Les brèdes, vous connaissez ? Ce sont des légumes-feuilles à cuire, incontournables de la cuisine réunionnaise. Voici la recette du brède chouchou : pour 4 personnes, il vous faudra au moins trois belles bottes de brèdes que vous devrez « trier » pour n’en garder que l’extrémité des tiges. Il ne vous restera alors que l’équivalent d’une demi-botte. Il en va du discours politique comme du brède chouchou : une fois trié, il n’y a plus grand-chose à se mettre sous la dent. La métaphore culinaire se prête d’ailleurs bien au sujet que nous avons choisi de traiter, puisque c’est de tambouilles douteuses dont il s’agit, avec juste ce qu’il faut de séduction, de trahisons et de mésalliances. Nul n’ignore que la promesse électorale est un plat préparé, emballé sous vide, dissimulant des additifs peu ragoûtants comme le pouvoir, l’argent, la corruption et autres joyeux ingrédients dont notre santé se passerait bien. Alors, à la manière de nos chers industriels de l’agroalimentaire, ils montrent patte bio et avancent masqués. Nous nous sommes contentés d’aller en cuisine pour y découvrir à quelle sauce ils voudraient nous manger et nous vous avons concocté un petit Maskarad de derrière les fagots, sur le mode de… la farce. Cela s’imposait ! Quoi la recette du brède chouchou ? Nous vous avons promis quelque chose ?
Barbara Robert
Avancer masqués
À partir de rien, c’est à dire de trois ou quatre pièces d’écrivains obscurs tel Shakespeare ou Brecht et d’un titre, Maskarad, la Konpani Ibao nous demande d’écrire une pièce sur la politique. Il va de soi qu’avec cela, nous n’étions pas orientés, ni à droite ni à gauche, nous devions avancer masqués pour que tel ou tel ténor de la politique ne se reconnaisse pas. Le masque politique est de toute façon aujourd’hui la façon de parler politique ; bien plus qu’un parti, c’est une posture. On prend le même et c’est l’autre qui se découvre caché derrière un masque de promesse, celui du changement. Le masque n’est pas qu’une figure théâtrale, il est la preuve qu’avec l’adhésion au parti (-pris de la forme théâtrale), le spectateur peut reconnaître les figures de ce monde. Pour ce qui est des envoûtements, n’allez pas croire que cette pièce vienne d’un territoire tribal ou folklorique, il est des sortilèges qui ne se comprennent pas : pourquoi, comment a-t-on pu voter pour untel ? Pourquoi, comment a-t-il pu l’emporter ? Ne sommes-nous pas ensorcelés par ces slogans, ces promesses dont nous vous parlions ? C’est avec le parti de la dérision que nous avons choisi d’écrire pour faire gagner, le temps d’une représentation, la Maskarad qui se joue le temps de bien des mandats.
La Presse
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SHAKESPEARE LAKOUR
“Grosse surprise hier lors de la première de Maskarad au Théâtre sous les Arbres. Il y a trois ans, le projet s’annonçait comme une succession de sketchs masqués. Ça fleurait la satire réunionnaise, et la cuisine politique sur les braises. Foutor et pitreries. Maskarad est une tragédie. Un Macbeth sauce péi. Et on y a cruellement ri.”
Zerbinette, Bongou
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BAS LES MASQUES
“C’est confirmé, Maskarad reste bel et bien la pièce de l’année pour La Réunion.”
Le Journal de l’Ile
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MASKARAD PORTE L’ESTOCADE !
“Vu… Et très bien pris la nouvelle proposition de la Konpani Ibao avec Didier et Valérie en duo masqué sous les pieds de bois du théâtre portois. (…) On est heureux de retrouver le tandem Cros-Ibao dans une intimité de jeu qui leur sied avec le feu décuplé de leur plaisir de comédien allumé pour nous faire rire en balançant savamment, avec un naturel pourtant confondant, les mots impertinents et savoureusement mitonnés par le duo d’écrivains d’une parole créole en tout point idéale pour cette faribole.
Le Journal de l’Ile
En scène
Photos © F.L. Athénas
Crédits
Texte
Barbara Robert et Sully Andoche
Mise en scène
Valérie Cros et Didier Ibao, en collaboration avec Nicolas Derieux et avec la complicité d’Erick Lebeau
Interprétation
Valérie Cros et Didier Ibao
Masques
Erhard Stiefel
Costumes
Juliette Adam
Scénographie
Drix
Création lumière
Richemont Gilas
Production
Konpani Ibao
Coproduction
Théâtre du Grand Marché – CDNOI (Centre Dramatique National de l’Océan Indien), Théâtre Vladimir Canter – CROUS de La Réunion Avec le soutien de
DAC Réunion, Région Réunion, Conseil départemental de La Réunion
Durée
1h sans entracte
À voir
dès 13 ans
Photos
François Louis Athénas
Design graphique
Kamboo
Le texte de la pièce
est publié aux éditions K’A, collection Téat.
70 pages ISBN 979-10-91435-63-5 – 15 €
Dossier de présentation de Maskarad